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La jurisprudence au sein des sports équestres

21 juin 2021 09:00

«La FEI suspend un cavalier américain dix ans pour avoir eu recours à des éperons électriques», «Un cavalier de Dressage brésilien suspendu trois ans pour maltraitance» – voilà à quoi ressemblaient les titres des grands médias équestres ces dernières semaines. De telles sanctions sont littéralement célébrées sur les réseaux sociaux, en particulier par les passionnés des chevaux. Mais quel statut juridique revêtent-elles exactement et que signifient-elles pour les fédérations nationales comme la Fédération Suisse des Sports Equestres (FSSE)?

Si un sportif équestre fait recours contre une sanction prononcée par la FEI, par exemple, la cour d’appel, par exemple le TAS, fait peser les arguments dans la balance et peut les pondérer différemment par rapport à l’instance précédente. (Photo: IMAGO / agefotostock) Si un sportif équestre fait recours contre une sanction prononcée par la FEI, par exemple, la cour d’appel, par exemple le TAS, fait peser les arguments dans la balance et peut les pondérer différemment par rapport à l’instance précédente. (Photo: IMAGO / agefotostock)

Dans les cas mentionnés ci-dessus, les cavaliers internationaux en question ont écopé de plusieurs années de suspension ainsi que de lourdes amendes pour maltraitance animale. Les athlètes concernés par de telles sanctions peuvent toutefois contester ces jugements, passés par le Tribunal de la Fédération Equestre Internationale (FEI) sur la base du règlement FEI, devant le Tribunal arbitral du sport (TAS), la «Cour suprême» pour les différends sportifs – et ce avec succès, comme l’a récemment démontré le Cheikh Abdul Aziz bin Faisal Al Qasimi (UAE) en obtenant, pour manque de preuves, l’annulation de sa suspension de 20 ans prononcée par la FEI. 

En cas de doute, les vidéos enregistrées avec un smartphone peuvent apporter des arguments importants. (Photo: IMAGO / Frank Sorge) En cas de doute, les vidéos enregistrées avec un smartphone peuvent apporter des arguments importants. (Photo: IMAGO / Frank Sorge)

Les affaires de maltraitance animale devant le TAS

Alors que le cavalier de Dressage brésilien Leandro Aparecido da Silva a renoncé à faire appel devant le TAS contre sa suspension de trois ans et son amende de 5000 francs augmentée de 2000 francs de frais de justice, le cavalier de Saut américain Andrew Kocher a désormais communiqué dans la presse son intention de recourir devant le TAS contre la décision du Tribunal de la FEI. Il reste à voir si les éléments censés prouver que l’Américain a utilisé des éperons électriques résistent à l’examen de cette instance. Le directeur juridique de la FEI, Mikael Rentsch, explique: «Il n’est pas toujours évident de prouver une maltraitance de façon univoque. Il peut bien évidemment y avoir des preuves juridiques solides, mais il se peut également que la FEI, et ensuite le Tribunal ou le TAS, doive évaluer et établir des aspects scientifiques. Nous travaillons avec des experts externes qui nous aident à prouver les faits en toute bonne foi et avec sincérité à l’intention du Tribunal de la FEI. Ce dernier évalue à partir de cette base quel poids il veut accorder aux différents éléments et prend ensuite sa décision. Si la partie accusée conteste ce jugement devant le TAS, les arbitres du TAS s’appuieront également sur les éléments rassemblés par la FEI, mais décideront peut-être de pondérer les faits et preuves d’une autre manière. C’est une manière de procéder qu’il faut accepter.»          

Selon le règlement du TAS, les arbitres nommés en son sein doivent avoir une formation juridique appropriée, une compétence reconnue en matière de droit du sport et/ou d’arbitrage international ainsi qu’une bonne connaissance du sport en général. Ces critères constituent certainement une base suffisante pour régler des différends ou traiter des recours dans la majorité des affaires portées devant le TAS, à savoir des questions de dopage ou des infractions générales à des règlements sportifs. 

Cependant, on peut se demander si les sports équestres sont entre de bonnes mains auprès du TAS, en particulier lorsqu’il est question de maltraitance animale. En effet, les arbitres ne disposent pas des connaissances nécessaires, que ce soit dans le domaine de la médecine vétérinaire ou en matière d’éthologie, pour trancher les affaires qui touchent nos partenaires sportifs à quatre sabots. Cette question a aussi été soulevée dans le cadre de l’annulation de la suspension du Cheikh Abdul Aziz bin Faisal Al Qasimi, étant donné que l’argumentation du TAS reposait sur des hypothèses de médecine équine considérées comme infondées par plusieurs vétérinaires. Il s’agit là pourtant d’une réalité juridique, comme le souligne Mikael Rentsch: «Les arbitres ne doivent pas nécessairement être des spécialistes du domaine en question. Ils écoutent les experts côté plaignant d’une part et les experts côté défendeur d’autre part. Si les avis des experts divergent, c’est aux arbitres de décider quelle argumentation leur semble la plus plausible.»

Le TAS est la dernière instance parmi les voies de recours disciplinaires de la juridiction sportive auprès de la FEI, ce qui signifie que si le TAS révoque une décision de la FEI, celle-ci n’a pratiquement plus de moyen de contester ce jugement et doit l’accepter. Il lui reste la possibilité de faire appel devant la Cour suprême suisse, mais la base légale est faible dans ce cas. 

Le directeur juridique de la FEI, Mikael Rentsch Photo: (FEI/Richard Juilliart) Le directeur juridique de la FEI, Mikael Rentsch Photo: (FEI/Richard Juilliart)

Le règlement FEI oblige à protester

Dans le cas Kocher, le cavalier américain avait été dénoncé anonymement auprès de l’Unité d’intégrité de la communauté équestre (ECIU) de la FEI. Créée en 2010, l’ECIU est un organe externe indépendant dirigé par l’entreprise d’investigation britannique Quest Global Ltd. Toute personne peut procéder à une dénonciation, anonyme ou non, auprès de cette instance pour signaler non seulement des incidents relevant de la protection des animaux ou de la lutte antidopage, mais aussi des soupçons de corruption, de paris interdits, etc. Selon son rapport annuel 2020, l’ECIU a enregistré 21 signalements au cours de l’année dernière. La «mauvaise conduite» était l’objet de dénonciation le plus fréquemment nommé (8 cas), suivi par des signalements touchant au bien-être des chevaux (5 cas).     

De fait, le règlement général de la FEI souligne que toute personne qui est témoin du mauvais traitement d’un cheval – en compétition ou dans toute autre circonstance – a l’obligation de le signaler sous forme de «protestation» à un officiel de la FEI ou au Secrétaire général de la FEI. Ce dernier décide, après avoir examiné l’affaire, si celle-ci doit être transférée au Tribunal de la FEI.1 Par mauvais traitement, le règlement général entend toute action ou inaction qui cause ou pourrait causer des douleurs ou un inconfort inutile au cheval.2 

Est-ce que cela signifie que toute observation ou enregistrement de scènes douteuses dans les sports équestres peut faire l’objet d’une dénonciation auprès de la FEI? Mikael Rentsch précise: «La FEI ne peut intervenir que si les chevaux et/ou les personnes concernées lui sont affiliés. Les membres du comité d’organisation d’une manifestation FEI, les officiels FEI, les propriétaires de chevaux FEI ainsi que leurs grooms en font notamment également partie.»

Des actes commis à l’entraînement aussi punissables

Comme l’a démontré le cas du cavalier olympique de Dressage brésilien, la FEI peut sanctionner des mauvais traitements même s’ils n’ont pas été commis dans le cadre d’une compétition, mais à l’entraînement par exemple. L’affaire da Silva est remarquable d’un autre point de vue encore, puisqu’elle avait d’abord été signalée à la Fédération brésilienne d’équitation. Cependant, comme les faits n’avaient pas eu lieu sur une place de compétition, ils se trouvaient hors de la juridiction de la Fédération nationale brésilienne, et celle-ci n’avait donc pas les moyens légaux pour intervenir. La FEI en revanche, dont les règlements ont une portée plus large, a repris l’affaire et condamné le cavalier qui se trouve sous son égide à une suspension augmentée d’une amende. 

Les cas de dopage suivent le même processus juridique que les cas d’abus de chevaux. Dans ce contexte, les contrôles officiels antidopage apportent des preuves importantes. (Photo: IMAGO / Rau) Les cas de dopage suivent le même processus juridique que les cas d’abus de chevaux. Dans ce contexte, les contrôles officiels antidopage apportent des preuves importantes. (Photo: IMAGO / Rau)

Dans son Règlement Général (RG), la FSSE indique également que les infractions aux statuts, règlements et/ou directives et prescriptions de la FSSE portées à la connaissance du jury lors d’une manifestation sont suivies de mesures appropriées. Les infractions qui ne relèvent pas de la compétence du jury doivent être annoncées par ce dernier sous forme d’une dénonciation écrite motivée adressée à la Commission des Sanctions (COSAN). Commet une infraction au sens du RG celui qui, entre autres, nuit à la réputation d’une des disciplines de la FSSE ou qui maltraite un cheval.

Le président de la COSAN Thomas Räber (Photo: màd) Le président de la COSAN Thomas Räber (Photo: màd)

Que se passerait-il alors, si un fait qui relève de la protection des animaux et qui s’est produit dans une situation d’entraînement en Suisse était signalé à la FSSE? Le président de la COSAN, Thomas Räber, explique: «La FSSE ne peut intervenir que si l’incident en question a été observé dans le cadre d’une manifestation soumise à la FSSE ou si une condamnation définitive pour non-respect de la législation sur la protection des animaux a déjà été prononcée par une autorité de poursuite pénale suisse. Toutefois, si une vidéo montrant un tel incident nous parvenait, nous prendrions l’affaire au sérieux et examinerions la manière de procéder. Si nous estimions qu’il s’agit de maltraitance animale, le cas échéant, nous déposerions plainte auprès du Ministère public. Ce dernier a les moyens d’interroger les personnes impliquées et d’entendre des témoins.»

Ainsi, la situation de la FSSE est très similaire à celle de la fédération faîtière brésilienne. Que se passerait-il donc si un tel incident arrivé en Suisse était porté devant le Tribunal de la FEI et qu’une sanction était prononcée par celui-ci? La FSSE serait-elle alors obligée de suspendre le cavalier en question aussi au niveau national? Thomas Räber précise: «Conformément aux statuts de la FEI, les fédérations nationales de sports équestres affiliées à la FEI sont obligées d’accepter et d’appliquer au niveau national dans le contexte de compétitions internationales (CSIO, CSI, CDI, etc.) les sanctions prononcées par la FEI ou par le CAS. Il faudrait toutefois attendre que la décision de la FEI soit vraiment définitive: en effet, si nous suspendions un cavalier trop hâtivement et que la sanction de la FEI était finalement annulée par le TAS, l’athlète en question pourrait demander des indemnités puisqu’une suspension équivaut, dans certains cas, à une interdiction de pratiquer.» Il en va de même lors de procédures pénales, comme dans celle en cours contre le cavalier de Saut suisse Paul Estermann: «L’affaire est à présent portée devant le Tribunal fédéral. D’ici à ce qu’un jugement définitif soit prononcé, la présomption d’innocence s’applique pour la COSAN. Les règlements de la FSSE ne permettent aucune autre façon de procéder dans une telle situation.»

Avez-vous des doutes si les règlements sportifs ou la législation sur le bien-être des animaux sont respectés dans le cadre d’un concours? Alors, adressez-vous à un officiel sur place pour qu’il puisse examiner la question. (Photo: IMAGO / Rau) Avez-vous des doutes si les règlements sportifs ou la législation sur le bien-être des animaux sont respectés dans le cadre d’un concours? Alors, adressez-vous à un officiel sur place pour qu’il puisse examiner la question. (Photo: IMAGO / Rau)

Les procédures disciplinaires ne sont pas des procédures pénales

Alors que faire si l’on observe une situation pouvant relever de la protection des animaux en dehors du cadre compétitif? Il est tout d’abord important de souligner que la FEI tout comme la FSSE sont habilitées à engager uniquement des procédures disciplinaires, qu’il ne faut pas confondre avec des procédures pénales. Celles-ci relèvent de la seule compétence de l’Etat et sont engagées à la suite d’une plainte déposée auprès de la police ou du Ministère public, car leur objet constitue un délit pénal au sens de la loi sur la protection des animaux par exemple. Les infractions à loi sur la protection des animaux sont de plus des infractions poursuivies d’office, ce qui signifie que les autorités sont obligées d’ouvrir une enquête et d’élucider l’affaire à la suite d’une plainte correspondante.

«Si l’on pense détenir des preuves d’une maltraitance animale, il faut déposer plainte auprès de la police afin que celle-ci puisse mener une enquête. Selon la loi sur la protection des animaux, il est interdit de maltraiter, de négliger ou de surmener inutilement les animaux. Toute infraction à ces dispositions est poursuivie d’office», souligne Thomas Räber.

Bien que nous espérions tous qu’il ne soit jamais nécessaire d’entreprendre de telles démarches juridiques, nous avons la responsabilité de donner une voix au cheval concerné et d’octroyer le droit à un procès équitable à la personne impliquée si nous devions un jour être témoin d’un comportement abusif envers un cheval ou que nous en ayons des preuves.

Cornelia Heimgartner

 

1 «Any person witnessing an Abuse must report it in the form of a Protest without delay. If an Abuse is witnessed during or in direct connection with an Event, it should be reported as a Protest to an Official. If the Abuse is witnessed at any other time it should be reported as a Protest to the Secretary General who, following a review of the Protest, shall take a Decision as to whether or not to refer the matter to the FEI Tribunal.»

2 «‹Abuse› means an action or omission which causes or is likely to cause pain or unnecessary discomfort to a Horse […]»

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